LIBERATION – 09.11.2013
Shirley Wegner,
l’apprêt guerre
Du rouge, du noir, une chaleur intense. C’est la première impression face aux photographies en grand format de Shirley Wegner, des couleurs fortes et ces flammes aux reflets hypnotiques qui paraissent, de loin, si légères. Sans danger. Comme contenues dans leur cadre. De près, tout change aussitôt, sans que l’on sache ce qui procure autant d’émotion, puisque tout s’avère faux. Pas de feu, pas de sang, aucun humain à l’horizon, même mort, la guerre a déjà eu lieu, elle est peut être une invention d’un autre siècle.
C’est sur cette méprise temporelle que réfléchit Shirley Wegner, née en 1969 à Tel Aviv, et qui vit à New York depuis dix ans. D’où m’idée de sa série «Explosion», réalisée entre 2010 et 2013. Il s’agissait pour elle «de reconstituer dans mon atelier des paysages de mon pays natal. C’était comme si l’éloignement physique et géographique avec Israël leur permettait d’apparaître psychologiquement, les souvenirs des paysages commençant à refaire surface, et parmi eux, les questions sur la manière dont les mécanismes identitaires et d’appartenance se sont façonnés à travers les images de l’enfance»
Shirley Wegner construit chaque photographie, à l’oeil.
Les matériaux qu’elle utilise sont bien ceux que l’on croyait voir, bouts de tissu, papier, grillage, cellophane. Uniquement des matériaux usuels, et même des oreillers, écrit-elle, «ce qui permet uncertain degrés d’immédiateté et d’improvisation essentiel au processus créatif».
Pour autant, elle ne cherche pas à cacher les bouts de ficelle. Si l’on reste un peu devant l’image, il est possible de deviner l’envers du décor, comme dans un jeu des sept erreurs.
La poésie naît de ce méli-mélo, de ce puzzle qui casse la perspective et emmêle peinture et sculpture dans le même espace temps.
Lorsqu’elle a découvert cette série, dans une exposition de groupe à Brooklyn, Farideh Cadot a été émue, «sans savoir pourquoi. Les images se sont installées dans ma tête, et elle ne partaient plus.»
Elle a décidé de montrer Shirley Wegner en France. «Une femme formidable, elle me rappelle Shirrin Neshat, elle a toute la mémoire du monde dans sa tête. Qu’elle retranscrit avec délicatesse.»
Par BRIGITTE OLLIER
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